L’affaire Paola

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Quatrième de couverture :

Le commissaire Brunetti est sur la sellette : sa propre femme, Paola, est arrêtée après avoir démoli la vitrine d’une agence de voyages. Pourquoi cette folie ? Paola suspecte l’enseigne de promouvoir le tourisme sexuel. L’affaire se corse avec l’assassinat du patron de l’agence. Seul indice : une lettre l’accusant d’être un pornographe. La carrière et la vie sentimentale de Brunetti vont s’en trouver quelque peu bousculées…

On savait déjà que Paola Brunetti a du caractère et elle le démontre de façon vigoureuse dans cet opus : folle de rage devant les voyagistes qui cautionnent le tourisme sexuel, elle décide d’agir et va par deux fois, en pleine nuit, lancer un pavé dans la vitrine d’une agence de voyages vénitienne. La première fois, des collègues « pro Brunetti » étouffent l’affaire mais la seconde, impossible d’échapper au lieutenant Scarpa, bras droit du vice-questeur Patta. Brunetti est pris entre deux feux, surtout quand le directeur de l’agence, le signor Mitri, par ailleurs patron de plusieurs entreprises pharmaceutiques, est assassiné chez lui. Brunetti est mis en « congé administratif » mais il continue évidemment à s’intéresser à l’affaire. D’un autre côté il a fort à faire avec le témoin potentiel d’un crime mafieux, qu’il faut convaincre de témoigner au tribunal. Les deux affaires vont toutes deux glisser des apparences à leur véritable mobile, mais apparences et réalité sont tout aussi choquantes l’une que les autres. Dans cette enquête difficile, qui révèle une fois de plus des magouilles sans vergogne, Guido et Paola resteront unis malgré le différend profond qui les a marqués et ils en sont encore plus attachants.

« – Parfois, je me demande ce qu’est devenu l’homme que j’ai épousé.
– Et ça veut dire quoi ?
– Que quand je t’ai épousé, Guido, tu croyais en toutes ces choses dont tu te moques aujourd’hui.
Avant qu’il ait pu lui demander quelles étaient ces choses, elle lui répondit.
– Des choses comme la justice, et ce qui est équitable, et comment décider de ce qui est juste et équitable.
– Je crois encore en ces choses, protesta-t-il.
– Non. Aujourd’hui, tu crois en la loi, Guido. »

« A en croire leurs déclarations de revenus au fisc, aucun Italien ne gagnait assez d’argent pour vivre décemment et l’Italie était une nation de gueux et de miséreux, qui s’en sortaient en retournant leurs manteaux, en portant leurs chaussures jusqu’à ce que la semelle en soit trouée et, pour ce qu’il en savait,
subsistant grâce à la cueillette des pissenlits et à des soupes d’ortie.

Ce qui n’empêchait pas les restaurants d’être pleins, ni leur clientèle d’être bien habillée, ni les aéroports d’envoyer chaque jour sur toute la planète des avions bourrés à craquer de joyeux touristes.

« Va comprendre », comme aurait dit un de ses amis français dont c’était l’expression favorite. »

Donna LEON, L’affaire Paola, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par William Olivier Desmond, Points, 2003 (Calmann Lévy, 2002)

Une enquête de plus pour mon travail d’italien et une participation au Mois italien.

Les notes du jeudi : Gabriel Fauré (1)

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Le nombre de compositeurs célèbres nés en mai est impressionnant. Parmi eux, Tchaikovski et Brahms, que j’aime vraiment beaucoup mais il y a aussi deux Français un peu moins prolixes peut-être, très intéressants cependant. J’ai décidé de leur faire la part belle ce mois-ci, d’autant qu’il y a cinq jeudis cette année.

Commençons par Gabriel Fauré, né le 12 mai 1845. On fêtera le centenaire de sa mort le 4 novembre 2024, il reviendra donc dans le mois consacré aux anniversaires. La biographie et le style musical de Fauré ici.

Je vous propose d’écouter quelques Barcarolles pour piano interprétées par la jeune Aline Piboule.

Rendez-vous poétique : Haïkus de printemps

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Le soleil se fait plus présent mais nous ne sommes pas encore à l’abri, quelques journées secouées sont encore annoncées. Pour ce premier jour de mai et premier mercredi du mois, voici quelques haïkus de printemps un peu frais et hhumides.

Premier printemps –

la pluie perle

sur les branches encore nues

Takahama Kyoshi

La solitude

le froid du printemps

rien d’autre

Uemura Sengyo

Jour de printemps –

une seule flaque

retient le couchant

Kobayashi Issa

Extraits de HAIKU Anthologie du poème court japonais, Poésie/Gallimard, 2002

Une petite participation au Mois japonais chez Lou et Hilde

Je me souviens de Falloujah

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Quatrième de couverture :

Au début des années 1970, le jeune Rami décide de fuir la dictature de Saddam Hussein. Réfugié politique en France, c’est un homme taiseux, secret sur son passé. À la fin de sa vie, Rami est atteint d’amnésie. Ses souvenirs semblent s’être arrêtés quelque part entre l’Irak et la France : il a oublié l’exil. Son fils, Euphrate, lui raconte alors ce qu’il en sait, avec l’espoir de percer enfin les secrets de l’histoire de son père. Cette quête le plongera dans le tumulte de sa propre odyssée familiale, de Paris à Falloujah. Un premier roman chavirant de la mémoire retrouvée, un livre inoubliable sur l’identité et la transmission dans lequel père et fils renouent le fil rompu d’un dialogue aussi bouleversant que nécessaire.

La construction de ce roman lui donne tout son intérêt. Un fils confronté à la double maladie de son père en fin de vie se souvient de son enfance et de sa jeunesse marquées par les silences de ce père originaire d’Irak. Il a toujours cherché à connaître l’histoire de ce père qui a fui son pays et s’est enfermé dans un mutisme obstiné. Euphrate, le fils (Euphrate – Feurat, tiens tiens), « profite » de l’amnésie de son père pour tenter de reconstituer les souvenirs. On voyage donc entre France et Irak, entre l’enfance de Rami, né en 1944 à Falloujah, celle de son fils narrateur, aux derniers jours de Rami en passant par l’histoire irakienne depuis 1958, lors de la révolution qui a renversé la monarchie au profit du général Qassem qui sera lui-même renversé par un certain Saddam Hussein, jusqu’à 2003, chute du dictateur. Rami, le père du narrateur, a fui son pays en 1972 et n’a jamais raconté la douceur perdue de son enfance ni sa jeunesse engagée. Il n’a jamais voulu retourner là- bas, où son fils a cherché des réponses et a vu l’évolution désastreuse de l’Irak avec l’occupation américaine.

C’est un roman à la fois émouvant et glaçant, avec une nostalgie inguérissable, un roman sur la mémoire, la filiation, la paternité, la dictature, l’exil. C’est le premier roman de Feurat Alani mais il connaît très bien son sujet puisqu’il est journaliste et grand reporter d’origine irakienne. Il a notamment tourné un documentaire sur l’usage des bombes à uranium appauvri à Falloujah.

« Falloujah était une ville de l’entre-deux, une jolie petite bourgade pleine de contradictions et de paradoxes. Située dans une vallée fertile, bordée par l’Euphrate, elle était aussi entourée de sable pourpre, l’été. Une cité tantôt paisible, tantôt bruyante, ni trop près ni trop loin des trépidations de Bagdad, où flottait un parfum floral qui laissait souvent place aux effluves de crottin de mulet au détour d’une rue. »
(p. 59)

« – L’Irak que tu vas voir est une dictature.
– C’est quoi une dictature ?
– C’est un pays où tout le monde murmure. Toi et ta sœur, évitez de parler trop fort, on ne doit pas parler à voix haute, sauf si ce n’est pas important. Tu comprends ? »

« Aujourd’hui, je le sais. La mémoire est un art choisi, un canevas blanc sur lequel on fait courir des pinceaux de couleurs, pour un résultat bien loin de la représentation exacte de la réalité, mais proche d’une vérité subjective, celle qui nous habite à l’instant où nous la vivons. La mémoire n’est pas forcément une reproduction fidèle de ce qui s’est réellement passé. Elle retient aussi bien ce qu’elle désire que ce qu’elle abhorre. » (p. 282)

Feurat ALANI, Je me souviens de Falloujah, Le Livre de poche, 2024 (Editions Jean-Claude Lattès, 2023)

Prix des lecteurs du Livre de poche – sélection Avril 2024 (je vote pour ce livre)

Après ce billet, je me mets en pause, le temps des vacances scolaires. J’ai programmé deux billets musicaux et un peu de poésie. Bonnes vacances à ceux qui ont la chance d’en avoir et bon début de mai à tous.

Les notes du jeudi : Sergueï Prokofiev (4)

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C’est avec une oeuvre symphonique que nous terminons ce mois consacré à Sergueï Prokofiev, la Symphonie n°4 en do majeur. « La quatrième symphonie constitue une synthèse entre la première manière de Prokofiev dans ce qu’elle a de plus élémentaire (rythmique acérée, ruptures de ton, alliages agressifs de cuivres) et un néo-classicisme plus nostalgique que celui de la Symphonie no 1. » (Source : Wikipedia)

Elle est ici interprétée par l’orchestre philharmonique de Berlin, sous la direction de Seiji Ozawa.

Real life

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Quatrième de couverture :

C’est la fin de l’été et Wallace retrouve ses camarades au sein d’une prestigieuse université du Midwest. Mais, parmi ces jeunes Blancs insouciants, Wallace peine à se lier au groupe. Le veut-il vraiment ? Hanté par son passé, troublé par de récents événements, il garde sans cesse une distance avec ceux qui l’entourent. Le temps d’un week-end, entre les fêtes et les discussions qui refont le monde, Miller tente de se rapprocher de lui. Leur liaison pousse Wallace dans ses derniers retranchements. Porté par une prose élégante et un regard tranchant, ce campus novel intense décrit une jeunesse américaine faussement apaisée, et dresse le portrait sensible et touchant d’un homme en crise d’identité.

Wallace est le seul Noir dans un groupe d’étudiants blancs. Solitaire, introverti, il peine à trouver sa place, d’autant que sa directrice de thèse, sous des dehors bienveillants, n’encourage pas vraiment son travail. On sent bien un racisme latent voire affirmé dans toutes les relations du jeune homme. Le temps d’un week-end, il va se laisser approcher et entraîner dans une liaison improbable avec Miller, qui prend l’initiative mais se proclame pourtant hétérosexuel. Durant ce week-end houleux, Wallace sera amené à confier à Miller l’horreur qui a marqué son passé, pourquoi il a laissé derrière lui l’Alabama et tout ce qui s’y rattachait. C’est pourquoi il n’y est pas retourné pour l’enterrement de son père, décédé quelques semaines auparavant. En retour, Miller va lui aussi révéler tout un pan inquiétant de sa personnalité.

Le titre laissé en anglais et le tout dernier chapitre (si on y arrive) orientent le sens de ce roman : où est la vraie vie, sur un campus étudiant, où l’on est relativement protégé, où les barbecues de fin d’été au bord d’un lac enjolivent la vie, ou ailleurs, dans les familles, dans le monde du travail, dans le monde adulte finalement ? La question de l’identité, de la juste place est aussi un des thèmes intéressants de ce livre puisque Wallace est Noir, gay, boursier face à des Blancs à qui tout semble plus facile (et face à certains étudiants particulièrement coriaces). Il faut le savoir, il y a des longueurs (les explications sur les expériences scientifiques de Wallace sur les nématodes (des vers) et de nombreuses scènes de sexe très violentes (ça a fini par me lasser, je suis trop prude sans aucun doute) mais ce roman d’initiation, un premier roman, ne manque pas d’intérêt.

« Le passé est avide, toujours il vous dévore, il prend sans cesse, sans cesse. Si on ne le retient pas, si on ne le refoule pas, il se répandra, il prendra, il noiera. Le passé n’est pas un horizon qui s’éloigne. Au contraire, il progresse un instant à la fois, il marche d’un pas régulier vers l’avant jusqu’à ce qu’il ait tout réquisitionné, que nous redevenions qui nous avons été ; nous devenons des fantômes quand le passé nous rattrape. Je ne peux pas vivre tant que vit mon passé. C’est lui ou moi. »

« Pourquoi lui revient-elle maintenant ? Tous ces kilomètres parcourus. Ces années. Son ancienne vie tranchée comme une cataracte. Rejetée. Mais ici, retrouvée au fond de son esprit comme un détritus qui surnage. Ici. En ce lieu. Dans la solitude du labo. Il fait presque un bond de frayeur, tant le souvenir est complet. Son corps se souvient. Son corps traître… »

Brandon TAYLOR, Real life, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Héloïse Esquié, Le Livre de poche, 2024 (Editions La Croisée, 2022)

Prix des lecteurs du Livre de poche – sélection Avril 2024

Vers la violence

Quatrième de couverture :

Plus grand que la vie, Gérard illumine les jours de sa fille, Lou. Fort et fantaisiste, ce baby-boomer aux allures d’ogre ensorcelle tout : les algues deviennent des messages venus des dieux, les tempêtes, des épreuves militaires, ses absences, des missions pour les services secrets. Mais que fait cette arme dans la table de nuit ? Qui sont ces fantômes d’une famille disparue, surgissant au détour d’une conversation ? D’où viennent ces accès de cruauté, qui exercent sur Lou fascination et terreur ? À travers l’histoire d’une enfance trouble, Vers la violence rappelle comment nos héritages nous façonnent, entre chance et malédiction.

D’habitude, c’est le genre de roman que j’évite à tout prix mais j’ai bien été « obligée » de le lire pour le jury du Livre de poche. La maltraitance envers les enfants et les animaux (et ajoutons-y bien sûr la violence conjugale dans ce cas) est un sujet dont je me tiens à distance, la réalité suffit, pas besoin que la fiction en ajoute une couche pour moi (et comme disait David Goudreault : la réalité dépasse la fiction). Ici il ne s’agit pas de violence physique mais de violence morale, psychologique. Le père de la narratrice est un sale type, doté d’un complexe de supériorité et d’infériorité à la fois, qui fascine sa fille unique. On comprendra plus tard ce qu’il a vécu et qui pourrait (ou pas) expliquer son comportement. Plus tard, sa fille devenue adulte s’est éloignée de ce père toxique. Elle est danseuse, elle maltraite son corps, multiplie les expériences et les jeux sexuels dangereux (tout ce que j’aime aussi, qu’on me raconte sans fin des jeux érotiques). Une dernière rencontre, alors que le père est malade, les séparera à jamais.

Cette lettre au père m’a été pénible à lire, je n’ai sans doute pas compris une bonne partie des intentions du livre. Je me suis octroyé « le droit de sauter des pages » (merci, Daniel Pennac). Une chose m’a hérissée aussi : le besoin de citer de nombreuses marques publicitaires, alors qu’il suffit de dire par exemple « la montre » ou « le téléphone ». Ou alors c’est un moyen pour Gérard d’affirmer encore plus sa pauvre vanité ? Je ne comprends pas comment ce roman a eu le grand prix des lectrices de Elle ??

Blandine RINKEL, Vers la violence, Le Livre de poche, 2024 (Editions Fayard, 2022)

Prix des lecteurs du Livre de poche – sélection Avril 2024 

(Désolée pour ce billet lapidaire)

Les notes du jeudi : Sergueï Prokofiev (2)

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Aujourd’hui je vous propose d’écouter le Concerto pour piano n°3 en do majeur, une oeuvre créée en exil, en 1921. « C’est le plus populaire des cinq concertos du compositeur, la partition combinant des éléments lyriques à des aspérités caractéristiques des années vingt. On peut également dire que des cinq concertos, c’est celui qui mêle le mieux une écriture pianistique très élaborée et virtuose à une orchestration claire et d’une très grande richesse. Aujourd’hui encore, c’est celui des cinq qui est le plus joué et le plus enregistré. » (Source : Wikipedia)

Le voici joué par Martha Argerich avec l’orchestre symphonique de Singapour dirigé par Dario Alejandro Ntaca.